Jardin Ouvrier | Potager-bio-urbain

Car jardiner occupe le temps de ceux qui en possèdent trop...

L’austérité volontaire en étendard, ils travaillent bénévolement à nous rendre conformes à « l’état d’urgence écologique qui vient ». La masse ronde et gluante de leur culpabilité s’abat sur nos épaules fatiguées et voudrait nous pousser à cultiver notre jardin, à trier nos déchets, à composter bio les restes du festin macabre dans et pour lequel nous avons été pouponnés.

Comité invisible 


Le potager-bio-urbain présente l’immense avantage d’être considéré par ceux et celles qui pratiquent cette activité, par les médias qui en font l'apologie, comme une idéologie du refus, une "révolution verte", une alternative pragmatique, une solution concrète réalisable immédiatement, une forme d'auto-organisation citoyenne rompant avec l'abstraction théorique et, plus important avec le monde des idées et des promesses politiques. Mais le potager-bio-urbain est, comme son lointain ancêtre, le jardin ouvrier, un des instruments d’une idéologie qui dans son essence justifierait l’adaptation à une période de pénurie et d’austérité, et bien sûr, une forme de légitimisation du système existant.  Le potager-bio-urbain est la retranscription moderne du jardin ouvrier. 

Le jardin ouvrier du 19e siècle, était la condamnation de la vie urbaine et de la mentalité ouvrière, qui se retrouve dans les théories de libéraux et de traditionalistes, de partisans de la libre entreprise et de tenants des relations paternalistes et corporatives. Esprits religieux, spiritualistes, athées, hauts fonctionnaires, hommes politiques, économistes ou architectes, industriels ou écrivains, tous s'accordent sur ces termes : l'apologie de la petite propriété immobilière et foncière, « pavillonnaire », rend au citadin comme à l'ouvrier le « bonheur » et la « dignité » perdus. 

En France, en 1896, l’abbé Jules Lemire, député maire d’Hazebrouck, créait la Ligue française du coin de terre et du foyer et inventait les « jardins ouvriers », outil de lutte contre le paupérisme de la classe ouvrière, véritable danger pour les classes bourgeoises, le structurant comme élément bienfaisant pour l’ouvrier, puisque lui apportant des aliments frais, le détournant du cabaret et l’accompagnant dans la réalisation de son foyer. La culture des poireaux, patates, navets, poires, etc., l'élevage de poules et de lapins, étaient considérée alors comme un moyen de combattre la vie chère, de consommer le plus économiquement possible ; mais aussi comme un des instruments érigés contre les velléités révolutionnaires des ouvriers, et la répugnante débauche des classes laborieuses : " Enraciner les français à la terre, si bienfaisante, à la famille humaine, arracher les ouvriers au prolétariat qui les guette et les pourrit ", assurait un riche philanthrope.


Les jardins ouvriers, devenus familiaux après la seconde guerre mondiale, allaient connaître un déclin opposé à la courbe montante de croissance économique des années des trente Glorieuses ; la maison individuelle et son jardin d'agrément, élément central dans les politiques d'aménagement du territoire, mais aussi l'automobile et le tourisme de masse amplifièrent le mouvement. Ce sera pendant de longues décennies, l'apogée de la maison individuelle, du pavillonnaire, des lotissements de "maisons de maçon" érigées en périphéries, et de la maison de campagne, pour les plus fortunés.

Les urbanistes post-soixante-huitards le remirent à l'honneur dans les années 1980, notamment dans les grands ensembles d'habitat social, dans les espaces délaissés et déglingués des périphéries des villes. Les vertus du jardin collectif-individuel devaient en théorie être en mesure de recréer du lien social, d'engager un mouvement d'autonomie – sujet central de la Gauche dissidente de 68 -, dans une perspective économique réaliste. Tandis que les propriétaires des pavillons de banlieue, des lotissements de "maisons de maçons", c'est-à-dire les premiers jardiniers urbains, augmentaient sérieusement la surface des potagers, au détriment de l'agrément, par nécessité, du fait d'un pouvoir d'achat malmené par les  crises pétrolière et financière successives. 


Aujourd'hui, certains cercles alternatifs apolitiques s'emparent de l'idée, sûrs d'eux-mêmes d'inventer une voie autre s'opposant aux implacables mécanismes capitalistes : le potager urbain. Le monde politique – que ce soit à New York, Bruxelles, Montréal ou Hong Kong - accorde à ce récent phénomène une attention particulière, car jardiner occupe le temps de ceux qui en possèdent trop (chômeurs, intérimaires, etc.), et en outre, peut soulager de la pauvreté. Une activité qui accapare l’intégralité de l’esprit, qui l'occupe – tout du moins dès les premiers jours du printemps -, qui ne nécessite aucune loi d'envergure, ni même de financements conséquents, encouragée par les milieux alternatifs bio-récréatifs et écolo, plébiscitée par les médias faisant l'opinion, engageant paysagistes et architectes en mal de reconnaissance et d'idéologie : tout ceci nous ramène à l’abbé Lemire et son instrument de profonde miséricorde, le jardin ouvrier, outil de lutte contre le paupérisme de la classe ouvrière, véritable danger en ces temps pour les classes bourgeoises. Le comité invisible prévenait des dangers de l'écologie politique :

Des secrétariats d’État aux arrière-salles des cafés alternatifs, les préoccupations se disent désormais avec les mêmes mots, qui sont au reste les mêmes que toujours. Il s’agit de se mobiliser. Non pour la reconstruction, comme dans l’après-guerre, non pour les Éthiopiens, comme dans les années 1980, non pour l’emploi, comme dans les années 1990.

[…] L’austérité volontaire en étendard, ils travaillent bénévolement à nous rendre conformes à « l’état d’urgence écologique qui vient ». La masse ronde et gluante de leur culpabilité s’abat sur nos épaules fatiguées et voudrait nous pousser à cultiver notre jardin, à trier nos déchets, à composter bio les restes du festin macabre dans et pour lequel nous avons été pouponnés.

L'apologie du jardin-bio-urbain peut s'appuyer sur des classes sociales traditionnellement antagonistes : il est invoqué en tant que responsabilité "écologique" quand il s'agit d'un public bourgeois, ou au contraire, comme instrument de survie alimentaire, pour l'individu économiquement défavorisé. Pour ce dernier, l'autarcie économique, et sa projection dans le paysage urbain (jardin attenant ou non à la maison) doit constituer la possibilité d'aménager, par son initiative individuelle, des conditions de vie inchangées dans leur substance. Pour les plus fortunés, il s'agira selon le Comité invisible :

Plutôt que de lutter contre le rapport social qui ravage les conditions de l’existence la plus élémentaire, il triera ses déchets et roulera à l’aquazole.(...) Le volontarisme et la mauvaise conscience la plus dévorante sont le propre du citoyen.


L'écologie politique est une stratégie du leurre, de la diversion et de la ruse ; dont un des objectifs est de co-responsabiliser les populations urbaines, les condamnant à n'être que des pollueurs et des faiseurs de déchets. Cette culpabilisation est là pour capter l’attention de l’opinion et l’enfermer dans une méconnaissance ; on substitue l’écologie et sa rhétorique au thème de la lutte contre toutes les formes d’injustices sociales et urbaines. Le génie du néo-libéralisme « vert » est d’opérer un transfert sur les masses dévouées à une cause juste, et non plus seulement sur l’État, pour la résolution de ses propres contradictions. Une forme ultra évoluée de ce que Pierre Bourdieu nommait la «violence symbolique», c’est à dire un système de croyances qui a pour résultat de forcer le dominé à se conformer à la volonté du dominant, mais qui le force de plein gré, si l’on peut dire, c’est à dire avec son consentement, et sans qu’il ressente cette violence comme telle.

La nouvelle dimension à laquelle les faiseurs de ville doivent répondre aujourd'hui, devient un slogan réduisant la cité à n’être qu’un instrument technologique dédiée à réconcilier l’inconciliable, la ville et la nature : une forme d’idéalisation faisant de l’écologie un dogme. En cela, l’idéologie écologiste peut laisser en paix la conscience des décideurs, des intellectuels, des architectes, des urbanistes et des paysagistes, qui dans une forme de consensus général évoquent la ville de demain : solaire, éolienne, piétonne, verte ; en laissant soigneusement « de côté » les phénomènes de pauvreté urbaine : la renaissance des bidonvilles, l'augmentation des sans-abris, la crise du logement, les difficultés des transports, etc. De même, les recherches universitaires, essentielles, dans leur méticuleuse description et classification les normalisent. De l’avis de Cyria Emelianoff, universitaire et spécialiste du développement durable :

Il reste que l’urbanisme durable ne peut se limiter à ces gestes urbanistiques trop spectaculaires, en partie contradictoires à l’échelle des besoins d’une agglomération, et que l’urgence est ailleurs: dans la maîtrise de la mobilité à l’échelle des régions urbaines, dans l’amélioration des conditions de vie des populations déshéritées, dans la réinvention d’une démocratie locale sensible aux intérêts des plus fragiles, par exemple. [ in : L’urbanisme durable en Europe : à quel prix ? Ecologie et Politique n°29, 2004 ]

André Gorz, dès 1974 questionnait l'avenir de l'écologie :

C’est pourquoi il faut d’emblée poser la question franchement : que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou révolution ? 

Architecture ou Révolution, préconisait Le Corbusier aux gouvernements après la crise de 1929. Les architectes, urbanistes et paysagistes d'aujourd'hui s'engagent dans la voie sans issue du réformisme politiquement correct et dans un idéal social de l'accompagnement de la pauvreté et de la survie humanitaire. Les illustrations des projets d'architecture qui suivent, en sont l'expression la plus aboutie et la moins convaincante. Les auteurs de ces abominables projets oublient maintes choses, le fait que les potagers-bio-urbains soient particulièrement dangereux pour la santé - selon de nombreuses études -, que les cultures hors sol n'ont aucun goût, et plus grave, comme l'on observe en temps de crise - notamment en Espagne, en Italie, en Grèce et sans doute dans d'autres pays d'Europe dont la France -, la formidable recrudescence des vols "alimentaires" : vol voire pillage de supermarchés, mais aussi vol de légumes et de fruits des jardins potagers de particuliers ou des  exploitations agricoles...
















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